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Portrait de Monique Pommier-Bonaldi (1975) · Partie 1
« Je ne voulais pas qu’on me traite comme une fille, mais comme un étudiant à part entière. »

17 juin 2025 Portraits d'anciens
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En 1971, l’École des Mines d’Alès ouvrait pour la toute première fois son concours d’entrée aux femmes. Une seule candidate franchira les portes de l’établissement cette année-là : Monique POMMIER. Quatre années plus tard, elle deviendra la première femme diplômée de l’École, marquant une étape fondatrice dans l’histoire de l’établissement. À travers ce portrait, c’est une plongée dans les années 70 que nous vous proposons : une époque où les femmes devaient batailler pour accéder aux formations techniques et encore plus pour s’y faire une place.

 

Monique, avec franchise, humour, et une étonnante précision, revient sur son parcours d’élève pionnière, ses années de lutte pour être traitée comme une étudiante à part entière, ses engagements pour faire évoluer les mentalités, mais aussi sur sa carrière professionnelle atypique, portée par une passion sincère pour le génie civil et la transmission.

Qu'avez-vous ressenti en revenant à Alès après toutes ces années ? L'école a-t-elle beaucoup changé ?

Pour rejoindre Alès, j’ai fait une étape dans notre maison en Auvergne, à Messeix : petit village minier entre Corrèze et Puy de Dôme.

Messeix-Alès : voyage très long et très éprouvant avec tous ces virages.

Mais que les Cévennes sont belles en cette saison !! Ça a été un plaisir de retrouver ces montagnes si particulières.

 

C’est vrai que l’école a énormément changé depuis les années 70-80, mais la ville d’Alès aussi. Quelle expansion ! Avant, les villages de Saint-Martin-de-Valgalgues et de Saint-Christol-lez-Alès étaient loin de la ville, maintenant ce sont presque des banlieues d’Alès, avec des zones industrielles et commerciales d’importance.

 

Quant à l’Eschoule (comme l’appelaient affectueusement les Alésiens) : quel changement ! Cela n’a plus rien à voir ! Nous étions à l’époque, 200 élèves en tout, répartis en 4 promotions d’environ 50 étudiants.

Le recrutement se faisait au niveau Bac +1 (première année de Prépa) et la durée des études était de 4 ans.

 

Toute l’activité scolaire (cours, salles d’études, ordinateurs, salle de topographie, et exposition des minéraux) était concentrée sur la partie où sont vos salles de classes actuelles, avec un étage en moins.

 

Les dortoirs de l’internat (réservés exclusivement aux garçons et surveillés par des pions), étaient dans le bâtiment de l’autre côté de votre actuel restaurant (bâtiment G). Nous, notre réfectoire était tout petit !

 

Quant à l’actuelle partie Claudie Haigneré, il y avait, à l’époque, quelques bureaux pour l’administration de l’école et le Service des Mines de la ville.

 

Notre pôle technique, laboratoire de génie civil et de recherches, n’occupait que votre zone atelier d’entretien derrière le bâtiment des salles de classe. C’était minuscule, tout était concentré à Clavières.

Tout était « petit », certes, mais tout était neuf. Pour nous, c’était un bâtiment moderne, avec des ordinateurs comme peu d’écoles en avaient à l’époque. La programmation se faisait en langage FORTRAN, ce qui était pour nous le summum de la modernité !

 

Changement notable aussi, mais compréhensible au vu de l’étendue de vos 3 sites et de l’importance de vos recherches : on entrait et on sortait de l’école comme dans un moulin : pas de badges, pas de codes, pas de grillages autour des bâtiments… les Eschouliers étaient les rois de l’évasion pour se retrouver au café en ville ou ailleurs, et faire la fête.

Qu'avez-vous ressenti en revoyant vos anciens camarades de promo ? Avez-vous gardé contact avec certains ? En avez-vous revu que vous n'aviez pas croisés depuis très longtemps ?

Mes anciens camarades de promo, j’en avais revu quelques-uns dans les années 80, lors d’une rencontre organisée par l’école. Ensuite, j’ai coupé les ponts avec l’école, l’amicale et donc les anciens, pendant une bonne quarantaine d’années. Mes seuls échanges ont été avec ceux qui comme moi se sont engagés dans l’enseignement en génie civil, BTS ou IUT ou en école spécialisée. On s’échangeait des sujets d’examen, des cours. A l’époque il n’y avait pas d’internet, peu d’archives sur nos programmes. On échangeait tout par courrier postal.

 

Puis en 2010, j’ai revu quelques anciens qui se sont installés près de Tours (Bertin, Chevallier, et Bourjala).

 

Dans les années 2010-2020, une bonne partie de la petite bande de joyeux lurons de la 123ème, que vous avez vu ce weekend de Jubilé, ont commencé à organiser des rencontres, une fois tous les 2 ans, dans diverses régions de France.

 

Et en 2021, Robert Bourjala a organisé la rencontre près de chez lui, au pied du château de Chenonceau et m’a demandé de les rejoindre. Cela a été un vrai plaisir de les retrouver et depuis je suis le mouvement.

 

2023 ce fut Limoges, et 2025 Alès ; et au fil des années ce petit groupe s’est étoffé. A chaque nouvelle rencontre, on en retrouve toujours un ou deux que l’on avait perdu de vue depuis 40 ou 50 ans !

 

Rencontre de la promo en 2023

Rencontre anniversaire 50 ans de la promo

Cette année, pour moi, le plus marquant a été de retrouver Pierre Laroche, dont je n’avais plus de nouvelles depuis le début des années 80.

 

Le plus étonnant, après une si longue période, ce n’est pas le changement physique : on a tous pris un « coup de vieux », mais la voix ! Même plus de 40 ans après, la voix ne change pas. Dès qu’il a prononcé 2 mots, j’ai reconnu Pierre tout de suite, en beaucoup plus sage et plus posé qu’il y a 50 ans.

 

J’avoue que ces dernières semaines, j’appréhendais ce « retour aux sources » au sein de cette école : point de départ de mon aventure.

 

Cette journée de samedi, guidée par Madame Assia Tria m’a permis de constater la transformation spectaculaire d’une petite école en une véritable institution : IMT Mines Alès, et je la remercie pour son accueil et sa gentillesse.

 

Pour terminer cette partie, je tiens à remercier tout le personnel de l’IMT pour leur accueil chaleureux et vous Chantal Farre et Elise Leguet, pour l’organisation de ce weekend inoubliable.

En tant que première femme élève de l'école, vous avez ouvert la voie dans un contexte qui ne vous facilitait pas les choses. Avec le recul, comment avez-vous vécu cette expérience ?

Être la seule femme dans cette école ne m’a pas posé de problème.

Ce qui était surprenant, c’est que le concours d’entrée, en 1971, n’avait jamais été ouvert aux femmes jusque-là. Car d’autres écoles d’ingénieurs en bâtiment et travaux publics recrutaient déjà des filles ; Mais pas l’Ecole des Mines d’Alès.

J’ai dû insister pour avoir un dossier d’inscription au concours.

Et puis j’avais eu l’expérience de mon admission en lycée technique en 1966. Je voulais entrer en section industrielle pour faire un bac technologique.

Mais les seuls établissements de ce type qui acceptaient les filles, étaient des lycées avec des sections secrétariat comptabilité.

Et bien sûr, on m’a placée d’office dans ce domaine. Il a fallu l’intervention de mes parents pour que je sois intégrée dans le secteur qui m’intéressait.

A la rentrée scolaire de 1966, au lycée de Sens (89), il y avait 6 classes de seconde technique industriel et 4 filles seulement : une par classe (le directeur craignait que l’on trouble les garçons).

Donc, de la seconde à la terminale E (appelé plus tard pompeusement Sciences et Techniques de l’Ingénieur), j’étais déjà la seule fille de ma classe.

au lycée de Sens en 1967

C’était surtout une formation technique tournée vers la mécanique générale. Et en 1969, la poursuite d’étude pour les femmes dans ce domaine, n’était pas facile, car tout se faisait sur dossier. Dans beaucoup d’établissements les candidatures féminines étaient écartées de la sélection. Donc, comme j’étais bonne en math, on m’a conseillé de m’inscrire en classe préparatoire aux grandes écoles, où là, seules les notes comptent. Ce que j’ai fait ! Mais je n’avais aucune ambition de devenir ingénieur. Ce que je voulais c’était apprendre et faire un métier de terrain. Je ne voulais surtout pas être enfermée dans un bureau !!

 

En 1969, j’ai été admise en « classe prépa », au lycée Amédée Gasquet de Clermont Ferrand.

Comme c’était un établissement technique, il n’y avait aucune autre fille dans ces classes préparatoires.  

(Petite parenthèse : c’est là que j’ai rencontré mon mari, Joël Bonaldi, qui a intégré l'Ecole des Mines d'Alès en septembre 1972 avec 6 autres étudiants de Clermont).

Si bien qu’en 1971, quand je suis entrée en 1ère année à l’Ecole des Mines d’Alès, cela faisait déjà 5 ans que j’étais la seule fille de ma classe.

Donc, passer 4 ans de plus à être la seule femme dans cette prestigieuse école, ne pouvait pas me faire peur !

 

Comment j’ai vécu ces 4 années scolaires à Alès :

 

Seule étudiante au milieu de 200 étudiants n’était donc pas un souci pour moi.

La perspective du bizutage non plus, car à l’époque c’était une pratique courante dans beaucoup de grandes écoles et en fac de médecine.

Et puis, comme l’accès aux dortoirs de l’internat m’était interdit, je n’ai pu participer qu’aux épreuves de 8h du matin à 21h le soir. Si bien que j’ai échappé « au pire » …

Mes plus grosses difficultés ont été avec les instances dirigeantes de l’école, et plus tard, avec les chefs d’entreprise : une femme dans ce milieu d’hommes leur faisait peur. Et mon arrivée à Alès a créé la surprise.

  • En septembre 1971, je crois que personne dans l’Eschoule, ne s’attendait à ce que je décide de venir à Alès : première surprise pour l’équipe pédagogique.
  • Comme j’avais plus l’allure d’un "garçon manqué" que d’une docile et fragile midinette, cela a beaucoup décontenancé certains enseignants et dirigeants de l’école : deuxième surprise.
  • Et comme je suis aussi du genre tenace (voire têtue), je refusais toutes marques de distinction par rapport à mes camarades (galanterie, passe-droit...) : troisième surprise.

Donc, si je devais résumer mes 4 années d’études à Alès, je dirais :

  • 1ère année : enthousiasme et découverte de tout un monde que je ne connaissais pas (la mine) ou peu (BTP, bâtiments, et travaux publics). Mais au fil de l’année scolaire, je sentais que l’on voulait me pousser là où je n’avais pas envie d’aller. Et on m’imposait des restrictions, du fait que j’étais une fille. Ce qui m’a énormément gêné par rapport à mes camarades. C’est pendant le premier stage ouvrier en entreprise (4 mois et demi dans le bâtiment) que j’ai pris conscience qu’il était temps de réagir. Les ouvriers et d’anciens mineurs avec qui j’ai travaillé, m’ont proposé leur aide.
  • 2ème année : colère et rébellion, j’ai refusé de me laisser imposer certaines choses. Mais je m’y suis mal prise, et mes relations avec la direction de l’école se sont envenimées. J’ai réussi, malgré tout, à faire bouger quelques lignes, mais ce n’était pas encore gagné. J’ai pu décrocher l’autorisation de visiter une mine de charbon (ce qui m’avait été refusé en 1ère année), j’ai obtenu une compensation financière pour le coût de mon logement et mes repas, et à partir de cette année-là j’ai décidé de choisir moi-même mes stages.
  • 3ème année : le découragement. J’avais fait un super stage en entreprise de travaux publics, comme chef de chantier. Mais en rentrant à Alès, j’ai eu l’impression que rien ne bougerait et j’ai dû renoncer à beaucoup de choses. Là, en cours d’année, je me suis mariée et j’ai choisi de faire un stage en bureau d’étude béton armé.
  • 4ème année : le renoncement. Je n’ai fait que 3 mois et demi de stage en bureau d’études avant la naissance de ma première fille, et j’ai repris les cours à la rentrée scolaire de septembre.

Ce stage m’a fait prendre conscience que notre formation dans ce domaine n’était pas du tout à la hauteur des attentes des entreprises.

En cours de 4ème année, il y avait un dernier stage de 2 mois. Je suis retournée dans le même bureau d’études.

Mais tout évoluait tellement vite en entreprise et tellement lentement à l’école que je n’avais plus qu’une hâte, c’était d’avoir le diplôme et de voler de mes propres ailes.

 

1975-76 : La bourse de recherche. En fin de 4ème année, M. Lefèvre, notre Directeur des études, m’a proposé « une bourse de recherche » pour poursuivre la « mini thèse » que j’avais commencée en 4ème année (prémices des études sur bétons hautes performances).

Ce système de bourses était tout nouveau à Alès, et l’école envisageait de créer un véritable pôle recherche.

J’ai donc travaillé pendant 1 an aux ateliers, avec M. Weber, notre premier Directeur de recherche.

Cela m’a permis d’attendre que mon mari (de la 124ème promotion) obtienne son diplôme.

 

Pourquoi avoir choisi cette école :

 

J’ai passé mon enfance dans un tout petit village de 2000 habitants près de Montargis (au sud de Paris).

Je suis issue d’un milieu modeste, très modeste. Dans ma famille personne n’avait dépassé le certificat d’études primaires.

En 1970, ma mère faisait des ménages ou aidait mes grands-parents, et mon père travaillait dans une usine où il assurait l’entretien de toutes les machines la moitié de la semaine, et partait sur les routes, faire les livraisons, le reste de la semaine.

Il était passionné par tout ce qui était technique : mécanique, électricité, groupes frigorifiques… pour son travail, mais aussi tout ce qui était lié aux bâtiment et travaux publics. Il ne ratait aucune occasion d’observer ou de visiter des chantiers (terrassement, autoroutes, forages pétroliers, …). Et moi, quand je n’avais pas école, je le suivais partout. C’est de là qu’est née ma passion pour le Génie Civil.

(Petite fille, je ne jouais pas à la poupée, je construisais des cabanes pour que mes amies jouent à la poupée !)

 

La rencontre décisive :

 

Donc, en janvier 1971, lorsque 2 ingénieurs de l’Ecole des Mines d’Alès sont venus dans mon lycée à Clermont-Ferrand pour présenter leur merveilleuse école, qui, pour la première fois recrutait au niveau 1ère année de prépa, j’ai sauté sur l’occasion.

J’étais à cette époque, en 2ème année de prépa, et je projetais déjà de m’inscrire à des concours d’entrée dans des écoles d’ingénieurs, spécialisées dans le domaine du BTP.

Ce qui m’a poussée à insister pour que le concours d’entrée à Alès soit ouvert aux femmes, c’était l’importance des stages en entreprise : 7 mois de cours pour 4 mois de stage en milieu professionnel.

Et puis les frais de scolarité semblaient dérisoires.

Mais le vrai plus de cette école, pour moi, c’était la durée et la variété de ces stages en entreprise.

Devant mon insistance et mon enthousiasme, ces 2 braves anciens Papès* ont demandé et obtenu que le concours soit ouvert aux femmes.

Fin juillet 1971, j’étais admise. Voilà comment a commencé mon aventure alésienne.

 

(*) Dans les années 70, les diplômés de l’Ecole des Mines d’Alès étaient appelés « Papès ».

Retrouvez prochainement la suite du récit de Monique (partie 2)




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1 Commentaire

Sylviane AUGÉ PETIT (IG, Mines Alès, 1980)
Avant hier
Merci Monique de nous avoir ouvert le chemin.

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